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2014-01-19

Rien à voir: Les Mystères du Rideau Rouge


Aujourd'hui, plus de pingouins et de hauts-de-forme, 
et plus de faux-culs ou si peu.


Rien à voir, mais je vais vous faire une vraie confidence.
J'étais hier soir au théâtre avec ma délicieuse nièce.
On y jouait un célèbre Marivaudage.
Et puisqu'en ce mois de janvier, les protocoles d'hiver sont à l'honneur, il fallait bien que je m'attarde un instant sur la représentation théâtrale, et surtout qu'il est convenu de dire que le spectacle est aussi dans la salle...

Il y a quand même un mystère très particulier autour du théâtre.
C'est à dessein que je choisis le mot puisqu'en effet, celui-ci  désignait au moyen âge un genre théâtral qui consistait à mettre en scène une série de tableaux fondés sur les croyances populaires, et flirtant donc avec le surnaturel.

Et il y a en effet une énorme mystification dans le fait qu'un groupe plus ou moins nombreux (on parlera du succès plus tard)  de personnes se réunissent dans une même pièce pour en écouter d'autres leur raconter des mensonges pendant une durée variable.

C'est donc en quelque sorte une foule qui se pressait  aux abords du Théâtre de l'Odéon.
La fouille des sacs n'est pas exactement une tradition ancestrale, mais on s'y plie volontiers depuis le siècle dernier.

Aujourd'hui, plus de pingouins ni de hauts-de-forme, et plus de faux-culs ou si peu.
On vient au théâtre comme on vient au fast food, c'est à dire comme on est.
J'ai quand même enfilé à la hâte sur les marches une nouvelle paire de chaussures.
Je ne sais toujours pas pourquoi.
Art populaire donc si on veut.
Il demeure quand même une distinction notable entre deux catégories de spectateurs.
Ceux qui voient bien, et ceux qui ne voyent rien.
L'édifice, quoique sublime, traîne avec lui en héritage un vieux principe qui consiste à dire que certains venaient  pour voir, et d'autres pour être vus.

Le public prend place au son de la cloche, dans une urgence inutile, tandis que sur la scène ouverte, Isabelle Huppert fait tranquillement son taï chi.
Pas de rideau rouge cette fois, mais un mur invisible.

Dans la corbeille,  que nous partageons avec une jeune fille manifestement encline aux plaisirs solitaires, nous sommes haut perchés sur des sièges qui nous rappellent que:
1. L'être humain a grandi et aussi du postérieur.
2. C'est à ça que servaient les faux-cul, en fait.

Cet inconfort participe pourtant pleinement de la représentation, puisqu'on est aussi un acteur muet.
On est pas au cinéma avec des chips, ou devant sa télé avec un casque de commentateur.

Cette vision légèrement de biais de la scène ne nous empêche cependant pas de lorgner  sur des sièges plus accueillants et mieux situés, laissés provisoirement à l'abandon, et défendus par les souriantes ouvreuses comme lors d'un siège (justement).

Car qui dit représentation dit retardataires.
On vient comme on est, mais parfois aussi quand on veut.
Et ça ne rate jamais: à la dernière seconde, de vraies paires de fesses prennent possession des lieux, au grand dam de ceux qui ne voient décidément rien que la salle.

Une voix venue des cintres nous invite à ne pas prendre de photos et à couper nos téléphones portables.
Cette tradition remonte à bien plus loin qu'on ne l'imagine en réalité, puisque jadis, on invitait les nobles à s'installer carrément sur la scène, et à faire taire leurs dindes.

Le silence se fait, et c'est aujourd'hui un luxe qui tient du miracle (autre genre médiéval).

Nous voilà donc parés à écouter les mots doux, les mensonges et les Fausses Confidences de Marivaux, en faisait semblant de ne pas reconnaître Louis Garrel et en trouvant Bulle Ogier méconnaissable.

Car ne nous mentons pas, on vient souvent voir au théâtre des acteurs plus ou moins célèbres, pour tester leur capacité à nous faire oublier qu'on les connaît.
Cette hypocrisie est liée à cette notion indéfinissable et frivole qu'est le succès.
Le public aime un acteur parce qu'on l'aime et le déteste pour les mêmes raisons.
Cette double inconstance fait elle aussi partie du charme dangereux des arts de la scène, qui sont parfois très martiaux. 
La rampe (éclairage au sol) a aujourd'hui disparu, mais le principe demeure:
On la passe, ou on la passe pas.

Tout se passe ici plutôt bien, sans heurts et sans entracte.
L'entracte consistant généralement à permettre aux gens qui s'étaient vus de se parler.

Et lorsque le noir de fin se fait sur les amours enfin partagés par Dorante et Amarinte, le rituel ultime consiste à joindre les mains dans un claquement répétitif de satisfaction.

Les acteurs, profession méprisée encore hier et jusque dans les fosses communes, courbent l'échine, tels des valets de comédie, en guise de remerciement, et ce alors qu'ils ont fait tout le boulot.

Les derniers arrivés sont évidemment les premiers à enfiler le manteau, pressés qu'ils sont de ne pas arriver en retard dans leur lit, où ils sont d'une rare ponctualité.

Ils n'hésitent pas tandis que la lumière revient dans la salle, à simuler une standing ovation, pour ne pas perdre la face devant la troupe pas dupe pour un sou, à la face (justement) de qui ils crachent en vérité ouvertement.
On va quand même pas attendre la fin du générique, on a notre médicament à prendre.

Lorsque le dernier des rappels à sonné,  tout ce petit monde quitte alors la salle, dans un brouhaha de premières impressions, et de Jane Birkin pressée d'aller aux toilettes.
Moi, j'attends ma nièce.
Je scrute alors les visages de ces spectateurs jusque là invisibles.
Et l'indécrottable romantique que je suis ne peu s'empêcher de penser qu'hier encore,  c'était au théâtre souvent que l'on rencontrait l'amour et pas que sur la scène.
Nous quittons cependant le théâtre tandis que s'organise la dispersion générale au carrefour de l'Odéon.

C'est donc un étrange manège que le théâtre, oscillant en permanence entre vérité singée et mensonge entendu, entre fragilité sacrée et tradition païenne,  et qui consiste en fait à croire de bonne volonté qu'en y mettant un peu les formes, on peut vivre un moment privilégié.

Rien à voir, mais j'ai passé une excellente soirée, et de repenser à ces vers de Musset (que j'ai eu la joie de dire un jour), qui lui perdît une soirée, ou presque, au Français dans la contemplation d'une épaule.


Et, quand je m'éveillai de cette rêverie,
Il ne m'en restait plus que l'image chérie :
" Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l'éclat. "


Dédicace toute particulière à Clarisse.


Illustration: Les Retardataires (détail).
Toile d'Albert Guillaume.
Musée Carnavalet, Paris.